ous traiterons de la relation entre sciences humaines/projet urbain à partir d'une perspective didactique du projet dans le cadre de l'enseignement de l'architecture et en prenant appui sur l'expérience de l'école d'architecture de Marseille. Le prétexte en sera le rapport du recteur Frémont qui invitait à rendre l'enseignement de l'architecture plus scientifique tout en le recentrant sur le projet sous toutes ses formes. Dans ce contexte, nous voulons insister sur le potentiel que représentent les sciences humaines comme contribution à la formation au projet au niveau de la conception, ce dernier terme étant compris comme production de concepts mis en oeuvre dans l'acte de projeter.
Le projet implique du sujet agissant la capacité à lire les signes de l'urbain qui relèvent de l'"hypercomplexe" (H. Lefèbvre). Dans un article paru fin 1997 dans la revue Urbanisme, l'architecte Giancarlo de Carlo insiste sur la lecture comme identification des "signes de l'espace physique" afin de "les interpréter, les ordonner...", il ajoute "et les recomposer en systèmes qui ont une signification hic et nunc...". L'apport des sciences humaines à cet apprentissage de la "lecture" est incontestable au travers de leur dimension herméneutique (M. Foucault). Cependant, leur contribution à la formation de l'écriture de l'espace urbain et architectural est une question encore largement ouverte en raison de sa complexité. En effet, la conception implique une écriture participant d'un procès heuristique qui vise à une création permanente, car elle est l'expression d'une pensée humaine manipulant simultanément plusieurs langages dont les codes se croisent. Nous tendons en cela vers l'écriture artistique.
La présente contribution vise donc à apporter un point de vue sur cette question relevant du langage, et cela au travers d'une approche épistémologique spécifique faisant appel à l'interface entre des sciences humaines et bien entendu, à la philosophie.
De la notion de projet urbain, nous retiendrons la dimension de l'écriture des formes urbaines à diverses échelles, mettant en oeuvre l'interface entre la géographie dans sa contribution à l'enrichissement de la sémantique urbaine et la graphique dont la sémiologie doit être maîtrisée afin de mieux tirer parti du formidable développement des SIG (Systèmes d'Information Géographique). Cette orientation tend à rapprocher le projet sur l'espace urbain du projet d'architecture car "l'expérience spatiale propre à l'architecture se prolonge dans la ville, dans les rues... partout où l'oeuvre de l'homme a limité des vides, c'est-à-dire des espaces clos."(B. Zevi).
La lecture d'un article de Bernard Huet à propos de l'enseignement du projet d'architecture nous a conduit à relever trois points qui ont servi de point de départ au développement de notre propos :
- l'architecture peut être considérée comme une langue : "toute l'intelligence de l'enseignement académique depuis le XVIème siècle consistait à apprendre l'architecture et la pratique du projet comme une langue" ;
- la formation de l'architecte exige aujourd'hui des contenus théoriques pertinents et solides ainsi que l'acquisition de techniques de représentation ;
- il faut absolument éviter des impasses, telle que l'analyse pour l'analyse.
La langue architecturale permet de penser et d'exprimer le projet mais son acquisition exige des contenus théoriques... Quels sont-ils aujourd'hui ? Que recouvre cette langue qui ne peut être réduite à son acception académique ? D'autre part, les sciences humaines sont souvent considérées comme responsables de "l'émeute analytique", pour paraphraser Bachelard, sans lien réel avec la conception de l'espace.
L'enseignement de l'architecture en France est actuellement fortement en question, dénigré même, si l'on se réfère à telle ou telle publication. Il existerait donc des butoirs et d'aucuns pourraient trouver tentant d'amorcer un véritable retour en arrière en réduisant "l'enseignement de l'inutile". Le retour au projet dans l'enseignement de l'architecture, qui a marqué ces dernières années et qui se confirme dans le plan architecture 2000 peut sembler marginaliser les disciplines des sciences humaines et sociales. La réforme de l'enseignement de l'architecture en cours d'application n'( est pas elle-même sans ambiguïté en opérant un clivage entre le champ architecture et celui des savoirs pour l'architecture. Pourtant, si l'on exclut l'anti-intellectualisme et l'attitude ante-théorique qui peuvent encore trop marquer certaines attitudes praticiennes, ces disciplines ont, à notre avions, tout à gagner et à apporter à la démarche projectuelle. Pour ne citer qu'un exemple, rappelons que l'historien de l'art et de l'architecture Gérard Monnier a écrit que le Bauhaus aujourd'hui intégrerait les sciences humaines dans son enseignement.
Bernard Huet reconnaît à l'école d'architecture un potentiel issu de la richesse accumulée et de la complexification de l'enseignement. Dans ces conditions, les obstacles rencontrés ne seraient-ils pas la manifestation de l'exigence d'un changement de paradigme ? Notre avis est que, dans les conditions difficiles qui ont été les leurs, les écoles ont pu préparer objectivement leur passage à un niveau supérieur.
Ces propos signifient que l'approfondissement exigé de la formation des architectes passe par l'acquisition de solides fonds conceptuel, culturel et technique. Cela correspond d'ailleurs aux objectifs définis dans le cadre de la réforme de l'enseignement. Nous insisterons donc ici sur l'option scientifique qui implique l'affirmation de disciplines ou d'interfaces disciplinaires inscrites dans la formation au projet, sans être assujetties à une finalité réductrice.
Tendre vers une plus grande scientificité de l'enseignement du projet nous paraît être un enjeu majeur dans l'élaboration d'un nouveau paradigme de formation. Il s'agit nullement d'envisager un impensable enseignement scientifique du projet, mais de viser à une meilleure maîtrise des savoirs transmis. Le terme de scientificité recouvre la conformité aux exigences d'objectivité de la science, c'est-à-dire ici la transmission d'un savoir véritable et démontrable.
Les enseignements théoriques relevant des sciences humaines et sociales doivent donc affiner ce caractère vérifiable et démontrables s'intégrant à un niveau ou à un autre dans la démarche projectuelle. Ils prennent pour cela appui sur des disciplines solidement implantées intégrant une forte dimension épistémologique.
Dans ce contexte, il est possible d'améliorer les conditions de la progressivité de la formation :
- dans l'horizon du projet, le mode de progression d'un enseignement disciplinaire et la vérification de son acquisition peuvent être clarifiés ;
- dans le cadre du projet lui-même, la caractère opératoire des enseignements doit pouvoir se justifier objectivement, le vérifiable n'étant pas de même nature que dans le cas précédent et ne se situant pas au même niveau selon les disciplines. A l'exception de ce qui relève d'un apprentissage du type règles basiques, il n'est pas pensable en effet que l'assimilation des savoirs par les étudiants soit immédiate. Ces savoirs ne peuvent dont être immédiatement opératoires dans la pratique, ce qui tend à exclure le caractère utilitaire des sciences humaines.
Des prémisses de cette réelle insertion peuvent être particulièrement mises en évidences au travers du développement de l'intérêt pour l'espace urbain dans les écoles d'architecture. L'école de Marseille a acquis dans ce domaine une certaine expérience. Sa forte orientation sur la culture et l'aménagement urbains s'est matérialisée par une logique pédagogique prégnante qui a le personnel de fin d'études. En dehors de toute pensée unitaire du cursus, au-delà d'un règlement national purement indicatif, les évolutions successives ont eu des effets récurrents permettant l'émergence empirique d'un potentiel important et d'une réelle structuration d'une formation où les sciences humaines jouent un rôle important.
Seule une véritable sémiotique de la cité permettrait une maîtrise de l'espace urbain et une réduction d'incertitude majeure quant au sujet urbain. Roland Barthes, dans L'aventure sémiologique, tempère l'ambition de parvenir à une telle sémiotique qui impliquerait la mobilisation simultanée du sémiologue, du géographe, de l'historien, de l'économiste, de l'urbaniste, de l'architecte, du psychanalyste... En même temps il est clair que les interfaces disciplinaires sont devenues une nécessité pour rechercher de nouvelles voies dans la maîtrise de l'espace et dans la formation à cette maîtrise. L'école d'architecture de Marseille a fait preuve d'une réelle originalité dans cette direction.
En 1967, une activité pédagogique de base avait été mise en place dès la première année d'étude, appelée Découverte des Groupements Humains, à l'initiative d'A.J. Dunoyer de Segonzac, architecte. Le but était de plonger les étudiants dans un milieu géographique d'échelles accessibles (village, quartier urbain) et de leur faire aborder différentes disciplines (architecture, géographie, écologie, sociologie, économie, dessin) à partir ce de milieu et en étroite symbiose. Il s'agissait de mobiliser des disciplines différentes dans le but de lire l'espace aménagé et construit dans sa complexité et de se préparer de manière plus informée au projet sur cet espace. Il est clair cependant que des insuffisances devaient apparaître alors en raison du caractère superficiel de l'approche, d'une part trop informative et, d'autre part, avortée dans son développement ultérieur. Pourtant, une direction était donnée avec des inerties en faisant nôtres les objectifs et les méthodes de l'Esthétique positive (E. Tainmont) et nous appuyant sur nos propres recherches concernant le langage géo-graphique. Il s'agit d'un travail pédagogique constructif où, par la recherche de l'esthétique, il s'agit de repérer
les conditions d'accord entre les divers éléments structuraux physiques et psychologiques, entrant dans l'espace géographique et où l'aspect positif recouvre l'action tangible. La méthode d'investigation scientifique à base sensible voit se combiner et se compléter intuition et analyse.
Trois disciplines vont se trouver mobilisées ici, ainsi que l'outil informatique avec lequel les sciences humaines sont désormais familiarisées, mais dont l'extension est source de nouvelles exigences théoriques. Nous allons donc nous situer à l'articulation entre quatre domaines : la pensée géographique, la linguistique, la sémiologie de la graphique et l'informatique au travers des SIG.
Nous avons fait précédemment référence à l'Ecole d'Architecture de Marseille et il nous faut rappeler ici que cette école a été une pionnière dans la mise en place d'un enseignement fondamental de type géographique. Cet établissement est en effet devenu une place forte de la discipline depuis la réforme de 1967, d'abord dans le cadre de la Découverte des Groupements Humains évoquée supra, mais aussi en assurant également après la réforme de 1984 les activités de cadre commun relatives à l'initiation à l'aménagement et à la maîtrise du milieu physique dans le premier cycle. Fortement présente dans le cycle DPLG et aujourd'hui dans le troisième cycle, elle a été et est encore étroitement associée à la recherche (laboratoire INAMA, équipe habilitée Artopos, création de l'équipe OREADE).
L'espace terrestre est souvent considéré par les géographes comme une écriture à déchiffrer. Cette image est séduisante mais peut tendre à présenter la surface de la terre comme une langue morte. Elle peut supposer un discours qui naturalise la connaissance en la faisant apparaître comme la conséquence nécessaire de son objet, donc idéologique (L. Priëto).
Aussi paraît-il plus opportun de dire que l'homme s'attache à penser l'espace en regard d'une praxis. Le terme d'écriture doit donc alors être naturellement compris comme une action continue liée à la pensée, la matérialisant, la structurant, la prolongeant, la nourrissant en retour. Nous sommes ici à la base même de toute démarche scientifique relevant des sciences humaines.
Dans ce cadre, la géographie comme discipline est une pensée signifiée de l'espace terrestre humanisé, une pensée qui s'est affinée, diversifiée, dont les courants et les concepts peuvent s'énoncer. Elle aide à déchiffrer l'espace aménagé par l'homme.
Comme nous l'avons évoqué précédemment, au coeur de toute réflexion sur l'architecture est la question de l'espace, à différentes échelles eau coeur de toute problématique architecturale contemporaine se trouve la ville. La géographie est discipline spatiale par excellence et les concepts, les méthodes et les outils qu'elle a élaborés tout au long de son histoire donnent les moyens d'une bonne maîtrise de l'espace géographique, à toutes les échelles. Elle a élaboré un immense corpus de connaissances, de références facilitant aujourd'hui une appréhension toujours plus fine des questions d'organisation de l'espace aménagé et à aménager.
La recherche d'une alternative à l'architecture du mouvement moderne a conduit à la quête des règles génératrices de l'espace urbain et l'architecte Giancarle de Carlo, directeur de l'ILAUD (International Laboratory of Architecture and Urban Design), étudie aujourd'hui ce qu'il appelle les "codes génétiques des implantations humaines. Autant d'appels à la géographie, comme re-lecture bien connue des géographes classiques français par l'architecte Aldo Roddi qui a tant contribué à la "réaction contre la dissociation architecture-urbanisme". Faut-il rappeler les méthodes d'approche subtiles du projet doux sur l'espace, consistant à tirer parti des lignes de force du paysage (G. Harring), à partir de l'enseignement des grands analystes du paysage que sont les géographes (R. Dion) ?
Ces rappels bien incomplets sont nécessaires pour mieux situer l'apport de la géographie dans la formation contemporaine des architectes. Ainsi, son rôle paraît évident dans les domaines suivants :
- culture générale (espace physique, espace urbain et rural, paysage, environnement...) ;
- formation à l'aménagement de l'espace (concepts, méthodes, outils de traitement et de représentation).
Ces apports généralement reconnus semblent conférer à la géographie sa place bien connue, avec d'autres, de discipline annexe ou connexe dans l'enseignement de l'architecture avec le risque permanent de se trouver confinée dans l'apport d'une teinture culturelle superficielle. Pourtant, les concepts, les méthodes, les outils issus de la géographie sont mis en action dans le projet lui-même, projet sur l'espace urbain et projet d'architecture. Cela implique de repenser fondamentalement son intégration dans la formation au projet. Comment ne pas voir par exemple que la pratique de cette discipline, dans la perspective projectuelle, contribue à une appréhension simultanée des phénomènes spatiaux, intuitive pourrait-on dire en nous référant à G. Bachelard, directement intégrée dans l'acte de la conception.
Dans l'esprit que nous évoquions ci-dessus, des chercheurs ont tenté de montrer que les formes d'organisation du tissu urbain avaient un rapport direct avec l'écriture, c'es-à-dire avec le langage humain ("Cortili e vicoli", Casamento, Palerme). Sans aller jusqu'à une telle conception radicale, l'espace aménagé et construit est pourtant bien une forme d'écriture des sociétés qu'il s'agit de déchiffrer (E. Dardel, G.C. Argan).
La linguistique, en tant qu'étude scientifiques du langage humain nous fournit un d cadre théorique et méthodologique extrêmement efficace pour la compréhension de tout ce qui fait sens. Elle recherche "les fins du langage en soi et de chacun des éléments de l'expression" (Grand Larousse de la langue française), c'est-à-dire les fonctions des unités signifiantes. Elle s'attache à cerner la forme des signes et la structure de leurs relations. Si nous nous arrêtons quelques instants sur le concept de fonction qui a tant marqué l'urbanisme moderne, l'approche linguistique permet d'en retenir une acception polysémique. Ce concept a été abusivement réduit dans l'approche étroitement fonctionnaliste bien connue. Henri Lefèbvre a ainsi écrit que le monument avait un caractère significatif et symbolique inépuisable ainsi qu'une multiplicité de sens. Il s'agit bien d'une interprétation linguistique mais aussi sémiotique/sémiologique des multiples fonctions du monument (C.S. Peirce, L.Prieto)1.
La linguistique peut donc fournir à la géographie une structure de compréhension et des concepts opératoires.
Mais cet apport s'est aussi prolongé dans une nouvelle vision de la cartographie. La linéarité du discours ne pouvait en effet exprimer les interactions spatiales. Aussi la géographie a t-elle dû inventer historiquement la cartographie.
Pourtant, il a fallu arriver à une autre invention, celle de Jacques Bertin qui, maîtrisant les concepts de la géographie, a recherché dans les enseignements de la linguistique structurale les prémisses d'un véritable langage géographique dont il a établi une sémiologie.
La cartographie est donc devenue plus qu'un répertoire de signes, un véritable langage désormais bien codifié applicable également à l'expression plastique et au dessin architectural dont les sacro-saintes conventions ne doivent pas être figées.
La graphique est véritablement une écriture signifiante qui tend vers l'économie des fonctions pour soutenir une pensée qui s'embrouille avec la complexification de la praxis humaine. Elle a permis de sortir de l'empirisme d'une représentation graphique subjective et de son corollaire, la rigidité de normes techniques.
Ce langage a ses signes, ses règles grammaticales, il est vivant, c'est-à-dire souple et ouvert à l'évolution en fonction de la demande sociale.
Il représente un potentiel considérable et insuffisamment exploré. Nous nous en expliquons ci-dessous.
Dans l'absolu, tout acte de projet implique le recours à des concepts universels, qui fondent la pensée humaine en général, et celle de concepts spécifiques jugés pertinents quant à son objet.
C'est ainsi que la pensée et la langue, envisagée ici comme un langage particulier, entrent en étroite symbiose dialectique et autorisent notre devenir. On peut dire que l'univers du discours signifié participe d'une autre structure sémiotique qui est celle du discours signifiant et, de cette relation, résulte la pertinence du système d'intercompréhension qui préside à notre propre intelligence des phénomènes et à sa communication.
Cette relation complexe fonctionne globalement bien, en ce qui concerne la langue naturelle, même si tous les individus n'en ont pas une maîtrise égale. Au niveau de l'expression spatiale, il n'en va pas vraiment de même. Il existe une rupture entre l'univers du discours signifié et celui du discours signifiant. La graphique est un langage, certes, mais encore faible dans la justification scientifique de sa codification et, surtout, peu reconnu et peu pratique. L'analphabétisme dans ce domaine touche très largement les spécialistes de l'espace aménagé et construit.
De cette faiblesse résultent des lacunes considérables dans la compréhension des phénomènes géographiques, donc un déficit important au niveau de leur interprétation. Le corollaire en est une insuffisance criante de l'expression du projet que nous appellerons ici géo-graphique, puisqu'il s'agit en quelques sorte de ré-écrire l'espace, d'en donner une nouvelle version et du projet urbain, par voie de conséquence.
La coupure entre l'univers du signifiant et celui du signifié est donc celle de la graphique avec la géographie. Aller vers une réduction de cette coupure signifie donc de développer un langage que l'on peut appeler géo-graphique, où la relation entre les deux termes géo et graphie prendrait tout leur sens. Le terrain de la recherche est ici très fécond.
Si nous en restons à une appréhension classique dans le domaine du projet, du projet urbain par exemple, la géographie comme science de l'homme est reconnue apte à apporter une contribution à l'analyse de l'espace, à en révéler les richesses et les dysfonctionnements, à faciliter ainsi le choix des projeteurs. De même, la graphique permet d'améliorer les performances de la cartographie traditionnelle ou automatique, de mieux traiter l'information et de mieux communiquer les résultats. Elle peut même contribuer à exprimer le "projet caché" (B. Huet).
Il est clair cependant que la capacité d'expression d'un langage, articulé avec une pensée, ne peut se limiter à l'objectif du meilleur diagnostic portant sur l'existant.
L'interface graphique/géographie se révèle particulièrement féconde dans l'enseignement de la représentation graphique appliquée au projet damna de l'espace. En effet, une traduction graphique réellement signifiante d'un concept spatial nécessite à la fois la maîtrise du sens donné au message et celle des signes graphiques adéquats, ce qui présente un caractère didactique très fiable. L'adéquation recherchée d'une double prise de parti, celle de l'idée et celle de la représentation graphique, implique une démarche très rigoureuse dont le résultat est vérifiable. La pédagogie par l'erreur étant très importante dans toute formation et, peut-être plus particulièrement dans celle du projet, nous tenons ici un fil solide, une contribution à la réduction d'incertitude devant les évaluations pédagogiques.
On peut dire alors, de manière caricaturale, que l'erreur peut se voir et questionner :
- une mauvaise image (représentation graphique) d'une bonne idée exige une clarification des composantes de l'idée et l'adéquation des signes graphiques ;
- une belle image d'une idée faible est totalement non signifiante et donc dépourvue d'intérêt2...
Il est clair que la vocation de ce que l'on peut appeler la géographie soit de contribuer à la prise de parti, à la création, au projet. S'il est possible d'écrire l'espace qui est sous nos yeux, on dispose des moyens d'écrire l'espace de demain.
Par conséquent, les insuffisances d'une part dans la connaissance des règles de la graphique et, d'autre part, dans l'approfondissement du langage géographique représentent un véritable obstacle dans la maîtrise du projet sur l'espace. Cet obstacle se trouve amplifié par le développement des systèmes d'information géographiques.
L'informatique est désormais totalement intégrée ou intégrable dans l'ensemble des domaines de la pédagogie et de la recherche.
Cela est évident dans le domaine de l'expérimentation car elle autorise une amplification considérable du potentiel heuristique. Il ne peut y avoir de recherche sans vérification des hypothèses et la production de SIG (Système d'Information Géographique) facilité l'analyse quantitative et qualitative portant sur les interactions complexes des divers phénomènes prenant place dans l'espace géographique.
Mais son apport va bien au-delà. Son exigence de rigueur au niveau de la catégorisation (J. Ellis) implique une meilleure définition, des caractères qui entrent en jeu dans l'analyse : par exemple, comment cerner le sens de l'espace géographique lié à des fonctions3 ?
Elle postule, in fine, la non-ambiguïté de la traduction graphique. Il est clair que nous touchons là au coeur de nos préoccupations. Nous avons déjà mis en évidence le caractère dommageable des carences de la graphique dans une articulation avec la pensée géographique.
L'avènement des SIG et leur emploi de plus en plus fréquent conduit à des pratiques incompétentes de plus en plus nombreuses dans le domaine de la traduction de l'information graphique. On assiste à une amplification de la rupture entre la pensée et l'écriture car l'usage facile et incompétent de l'écriture automatique conduit à des résultats que l'on peut classer en deux catégories :
- l'information nulle résultant de l'absence de rapport entre l'idée et l'expression ;
- le véritable contre-sens.
Dans les deux cas, la qualité du rendu graphique faisant illusion, la démarche scientifique se trouve affaiblie au bénéfice de la trivialité de l'aspect publicitaire et donne libre cours au mythe de l'image.
Le développement des SIG permet de mieux appréhender et d'exprimer la complexité de l'espace urbain, mais au prix d'exigences théoriques touchant à la recherche et à la formation.
Le développement du champ pédagogique et de recherche dont nous avons défini les contours se veut donc une contribution à l'amélioration d'un code de communication au service du projet sur l'espace urbain, mais aussi du projet architectural (analyse, diagnostic, essais, perspective, proposition).
En effet, en ce qui concerne la sémiologie de la graphique, un code mieux maîtrisé au niveau des signifiants autorise une image graphique améliorant l'expression des interactions géographiques.
Corrélativement, les fonctions de l'espace urbain seront appréhendées de manière plus riche.
Des résultats positifs peuvent être attendus au niveau de l'amélioration de l'outil informatique lui-même (SIG) mais aussi dans le domaine de la pédagogie.
Une expérience innovante menée à l'école de Marseille en deuxième année du cycle DEFA, montre par exemple que l'apprentissage d'un logiciel de cartographie articulé avec une formation à la sémiologie de la graphique donne des résultats très positifs dans le cadre d'un certificats introduisant au projet sur l'espace public.
Le logiciel ne peut être utilisé comme un jouet dans le sens où le contrôle des finalités scientifiques de son usage est permanent. D'autre part, les questions liées à la sémiologie sont plus facilement mises en évidence en raison de la qualité du graphisme. Ces tensions exigent plus de rigueur notamment dans la catégorisation des phénomènes géographiques et contribuent à une meilleure analyse de l'espace à différentes échelles ainsi qu'à l'expression d'une composition spatiale plus argumentée et claire. Il n'est pas question d'automatisation d'un processus analytique et projectuel, les étudiants étant d'ailleurs conduits fréquemment à passer du dessin automatique au dessin manuel et vice-versa. L'outil informatique se trouve ici totalement intégré dans une démarche projectuelle et cette pratique semble ouvrir des perspectives prometteuses.
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