Art et espace public, de l'art dans l'espace public, le rôle de l'artiste dans l'espace public, espace de réunion et par excellence politique.
L’escalier, c’est le sentier au sens propre de sentir, éprouver l’ascension, souvent entre des murs, en se hissant sur de petits murs...
«Je suis entré dans une ville
pour me promener dans ses rues
pour échanger des saluts avec ses hommes
mais il y a plus de rues où y errer
il n'y a plus personne pour répondre à mon salut "
Nazim Hikmet
Notre approche mettra l'accent sur le rôle fondamental que peut jouer l'artiste dans la création / recréation de l'espace public urbain.
Notre but est d'articuler l'art et le politique, intimement et nécessairement proches, en nous référenant à des «disciplines» diverses… la philosophie, la sémiotique…
L'artiste par son action dans l'espace public introduit une "rupture esthétique". Cette déconnexion perturbe l'"évidence sensorielle". Dans ces mots de Jacques Rancière apparaît ce qu'il appelle un "dissensus" au cœur du politique. Le politique n'est pas principalement l'exercice du pouvoir ou de la conquête du pouvoir, c'est l'activité qui reconfigure la gestion du sensible. "Si l'expérience esthétique est la clé du politique, elle est également définie comme une expérience de « dissensus ". "Ce qui fonctionne, en un sens, c'est un vide.".
L'affichage massif d'écrans numériques dans l'espace urbain, la mode des palmiers en pot disséminés le long des rues ou sur les places, les barrières de sécurité, la conception de la chose en soi, nous amènent à nous interroger sur l'identité de l'espace public urbain, et donc notre propre identité. Le libre-échange imprévisible de l'homme avec le monde réel de la nature et de la culture est menacé par le libre échange des marchandises et des images. L'espace public est érodé par la privatisation.
Ouvrir l'espace public est un combat, car il concerne l'organisation de la vie collective, comme les luttes dans l'agora grecque. Ce combat est le fait de la «conscience rebelle», la lutte politique au sens plein du terme, condition de la démocratie.
D'autre part l'art est "ouverture", l'artiste appartenant à «la cohorte des savants qui participent à la victoire (sensorielle) de l'apaisement» selon l'expression de François Dagognet. Nous allons voir ici pourquoi et comment l'apaisement a à voir avec l'ouverture.
Nous allons envisager deux expériences réalisées par une peintre italienne, Imelda Bassanello. Cette artiste, spécialisée dans la peinture sur bois, est réputée pour ses nombreux travaux dans les espaces publics: portes peintes dans les villes et villages de l'Italie (Gênes et autres lieux de la Ligurie, Turin, Milan) et aussi en France... enseignes, processions de silhouettes...
1) Dans un village de montagne français, Roubion, à 70 km de Nice, où l'artiste a peint des portes le long des rues.
2) En Italie, dans la ville de Savona, où elle a revêtu un mur d'une palissade peinte, en collaboration avec les habitants.
En France les propriétaires des portes ont participé au financement de l'opération.
Sans entrer dans une étude esthétique de cette réalisation, ce n'est pas notre propos, nous prenons cependant le risque d'affirmer qu'une oeuvre est belle parce que «la beauté est précisément ce qui rend heureux», selon les mots du philosophe Ludwig Wittgenstein. Ici, nous nous trouvons à une échelle pleinement humaine, une histoire humaine de vie quotidienne peinte le long d'une rue, suivant rythme des planches de bois. Même les panneaux de signalisation sont intégrés. Cela est simple, vrai…comme le "sceau de la vérité." Ici esthétique et éthique se fondent totalement.
Les portes le long de la rue ou la palissade qui habille le mur qui colle à la colline comme un vêtement la peau de notre corps, confèrent à une rue ou à un simple rond-point un caractère vivant, hospitalier. Il est alors possible de parler d'un sujet aux couleurs vives, non aliénant, tendant à l'apaisement et à la contemplation, ouvrant à la conscience libre, sans entraves. Nous reviendrons plus loin sur le thème de la paix.
Les portes et la palissade sont devenus un geste, sans pouvoir, qui simplement donne à "voir".
Qu'est-ce que recherche l'artiste si ce n'est l'apaisement par le «neutre» selon les mots de Roland Barthes ? Le neutre compris comme «la perte de surface de contact du sujet avec l'arrogance du monde et non pas avec le monde, l'affect, l'amour." Neutre est la paix qui permet l'ouverture au monde, l'ouverture aux autres, et par là même renforce notre propre identité. Nous croyons que cela fonctionne vraiment dans un espace public, par la création de l'espace public.
Cette action est créative, inventive, travaille dans l'anonymat, et l'ouverture au neutre a aussi permis l'ouverture d'une expression minimale mais réelle d'une volonté politique, facteur d'identité pour le groupe et l'individu: agir dans l'intérêt de la ville et de la reconnaissance de chacun dans la ville.
Sous l'impulsion de l'artiste, "animal indomptable", selon Wittgenstein, la population a créé, est devenue peuple. Elle a gagné le soutien des élus politiques. Le résultat est un cadeau pour toute la population, locale et de passage. C'est un don fait à l'espace, un don à la municipalité, un acte politique, un travail qui rend chacun un peu plus citoyen.
Par conséquent il faut souligner ici ce paradoxe apparent: une lutte artistique et politique a produit l'apaisement de l'espace public et a entraîné même temps un processus de lutte pour la préservation de cette paix, pour la mémoire, ouvrant la possibilité d'une fondation autonome de la communauté locale, permettant l'affirmation de son identité.
Comment pouvons-nous décrire ce mode d'action ? Gilles Deleuze a écrit, «rien n'est beau, rien n'est amour, rien n'est politique, sauf les tiges souterraines et les racines aériennes, les mauvaises herbes et le rhizome." N'avons-nous pas ici l'émergence de la tige d'un rhizome, méconnue par les pouvoirs hiérarchiques et pourtant indispensable à la vie démocratique, à la vie de tous ?
Cette émergence est le produit du fantastique pouvoir créatif de ce que nous appelons les gens quand ils deviennent vraiment des citoyens. Cela montre, parmi beaucoup d'autres actions de type comparable, que l'intervention sur l'espace public peut prendre plusieurs formes, une infinité de formes colorées, prenant sa place entre entre le grand projet monumental coûteux et le vandalisme sous toutes ses formes, y compris celles de la publicité et de l'information.
N'oublions pas les mots de Kevin Lynch quand il a écrit qu'il y a un "art urbain" par opposition à l'architecture, la sculpture et la peinture. Et percevoir cet art nécessite l'ouverture d'esprit, l'implication de notre corps dans des activités de découverte. L'espace public rend notre regard politique et le politique devient alors aussi affaire de cœur.
Au début, il y a le choix, la confusion, qu'est-ce qui est là? Puis il y a l'effort! Nous sommes "simplement" sur le chemin de la vie. La lecture sensible des places, des rues, des maisons, de l'histoire, des livres…s'inscrit dans la matière de notre mémoire. Elle s'immerge dans nos sentiments initiaux que nous devons être sans cesse capables de rappeler, de reconnaître. Nous en appelons à la phénoménologie de manière primordiale.
Et tout se développe selon ce mouvement. Et le cœur est le centre, il est corps et âme, il génère l'énergie nécessaire pour ouvrir notre porosité, pour rayonner et recevoir le monde. Et dans chaque est ce cœur / génie. Et ce caractère sacré, nous pouvons le trouver dans tous les lieux quant ils sont vraiment lieux (loi). Et chaque endroit peut devenir un lieu où pénètre la vie. Le cœur peut être le théâtre, le cœur de la maison, le cœur peut surgir sur mur, sur des portes...
En fait, vous devriez reconnaître les lieux de la ville comme de l'art urbain. Et le lieu n'est pas confiné à ce que nous reconnaissons aujourd'hui comme un patrimoine et la conservation n'est pas limitée à la protection/réhabilitation de ce patrimoine. Les lieux peuvent ne pas avoir de nom, le plus souvent ils n'en ont pas.
L'espace public ne devrait plus être le résultat d'un projet narcissique architectural ou technocratique ou les deux ensemble, parce que le narcissisme est une menace pour nos sensibilités, déjà submergées de toutes parts. Est en danger notre être, et la conscience écologique qui est développée à l'heure actuelle doit s'intégrer à une écologie d'un niveau supérieur, celle de l'esprit, avec sa dimension éthique fondamentale.
Notre but est d'aller à la recherche d'images que ne sont pas sous les projecteurs habituels de la promotion "touristique" et de la pseudo "analyse scientifique", mais qui peuvent suggérer une réflexion philosophique ou une évocation métaphorique / poétique ou même une rébellion / critique ou polémique. Le mystère est toujours au rendez-vous.
Et la barbarie sous toutes ses formes nous promet toujours davantage de pièges. Ils peuvent prendre une forme brutale, mais aussi insidieuse. La barbarie peut aussi nous rendre impuissants devant les arguments infaillibles du progrès, la sécurité, l'écologie, la protection du patrimoine. Et nos espaces de vie sont les proies les plus ciblées parce qu'ils apparaissent trop banaux, parce qu'ils ne vivent pas assez vraiment, parce qu' avec le sourire nous nous habituons aux changements, nous résistons à peine, nous n'avons pas compris assez vite... nous n'avons pas le temps de saisir les processus de changement aujourd'hui...
Mais il y a des points de résistance: la paix éternelle d'une place ou d'une rue, les dessins qui se trouvent sur les murs et donnent naissance à l'émotion, qui éveillent l'imagination, l'émotion créatrice aiguisée par le mystère. Et pourquoi le «tourisme» n'offrirait-il pas la possibilité de devenir de plus en plus citoyens du monde ?
… Et pour conclure, encore une fois… L'artiste par son action dans l'espace public introduit une "rupture esthétique". Cette déconnexion perturbe l'"évidence sensorielle". Dans ces mots de Jacques Rancière apparaît ce qu'il appelle un "dissensus" au cœur du politique. Le politique n'est pas principalement l'exercice du pouvoir ou de la conquête du pouvoir, c'est l'activité qui reconfigure la gestion du sensible. "Si l'expérience esthétique est la clé du politique, elle est également définie comme une expérience de « dissensus ". "Ce qui fonctionne, en un sens, c'est un vide.".
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