Le présent poème photographique est extrait d’une exposition réalisée à l’école d’architecture de Marseille à la suite d’un voyage d’étude à New-York.
Les « voyageurs » ont voulu exprimer un hommage à une ville qui inspire les sentiments les plus puissants, tous les sentiments !
La forme donnée à l’expression est devenue progressivement celle d’un poème photographique invoquant tour à tour et simultanément l’écrivain,
le plasticien, l’architecte.
L’espace vibre du chant de vie profond et exubérant de Baudelaire, de l’imaginaire tourmenté et coloré de Rimbaud, du doux chuchotement de James Joyce, de la géométrie symbolique de Kandinsky, de la fascination statique de Richard Estes, du mouvement subtil et ordonné de Louis Kahn...
Les photos composent donc un ensemble, un message global qui se veut linéaire mais chacune attire, appelle, perturbe la lecture... et l’enrichit.
Merci aux étudiants qui ont su montrer tant de sensibilité, de compétence technique et de dévouement.
Conception, composition, texte : Michel Perloff.
Photographies : Stéphane Bernard, Pascal Esteban, Fabien Morel, Xavier Pujol, Nathalie Vellieux, étudiants en architecture.
Ecole d’architecture de Marseille, juin 1995.
« Etonnants voyageurs ! Quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.
Dites, qu’avez-vous vu ? »
Charles Baudelaire
Kandinsky
Qu’ont vu ces voyageurs ?
Comment conter les instants innombrables ?
Le "message intime" de Kandinsky, tel un cartouche égyptien au fronton du Temple de la Culture, symboliserait la divinité de New-York, harmonie dans l’équilibre des tensions.
"Je suis belle, O mortels, comme un rêve de pierre !" chanterait Baudelaire.
James Joyce chuchoterait à chacun des géants dressés : "O lonely watcher of the skies...
Awake to hear the sweet harps play..." les harpes du pont de Brooklyn.
Avec ces géants, Louis Kahn écrirait la rue : "The street is a room by agreement, a community room...". Et cette pièce dans la grande maison verrait couler les turbulences,
Les transgressions, les pulsations.
Le marcheur s'enivrerait de myriades d'images où se mêleraient les fleuves,
Les couleurs,
Les salissures du Rimbaud de son enfance.
Il jouerait avec les vers de Baudelaire, encore :
"La rue assourdissante autour de moi hurlait,
C'était un palais infini,
Babel d'escaliers et d'arcades,
Plein de bassins et de cascades,
Tombant dans l'or mat ou bruni.
Il rencontrerait Times Square, "fountain of advertising"..
Puis il se reposerait. Joyce lui dirait au creux de l'oreille : "How sweet to lie there.". Des calèches, des bancs, des arbres, des pelouses,
De l'eau, du bois, "Water, Wood, Warmth"..
Une inquiétude viendrait alors le tirailler : "Pourquoi des grillages, tant de grillages, des grilles acérées, des murs tourmentés ?".
Les vitrines se figeraient à la manière hyperréaliste de Richard Estes...
"Et cet homme aux chaussures béantes ?"..
Baudelaire reviendrait à cet instant : "Plus de sang ! Désormais vivez comme des frères, Et tous unis, fumez le Calumet de paix !"...
"Dites, qu'avez-vous vu ?".
"Et puis, et puis encore ? ".
Nous avons vu... " Une jeune géante...
Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
La froide majesté de la femme stérile....
... Ah ! La voir étendue à travers la campagne !...".
Et Louis Kahn dirait alors "order is"..
Order is ?
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