L'aire urbaine marseillaise.

Nouvelles échelles urbaines, nouvelles identités ? Une approche du Grand Marseille.
In Rives nord méditerranéennes CNRS Cultures et civilisations méridionales n°7, Aix-en-Provence, 1992.


'aire urbaine marseillaise couvre une superficie d'environ 900 kilomètres carrés et compte 1 400 000 habitants dont 800 000 dans la ville même de Marseille. Elle peut s'inscrire dans un demi-cercle de 30 kilomètres de diamètre centré sur les îles du Frioul et bordé par l'étang de Berre à l'ouest, la chaîne des Côtes au nord, les massifs de la Sainte Victoire et de la Sainte Baume à l'est.
L'armature urbaine a une structure radio-concentrique cohérente liée fortement à la ville centre. Elle est aussi très lisible car les centres importants sont nettement identifiables par leurs limites territoriales naturellement bien définies.
Dans ce contexte spatial, l'accélération de certains processus, dont ceux de la redistribution actuelle des rôles entre Marseille et la périphérie au plan de la fonction métropolitaine marque un changement d'échelle de l'entité urbaine.

Marseille, métropole atypique

L'aire marseillaise, carte 1

L'aire marseillaise, carte 1

L'aire marseillaise, carte 2

L'aire marseillaise, carte 2

Marseille est toujours apparue comme une entité marginale dans la nation française marquée par :
- le caractère d'extériorité d'une ville-comptoir d'une ville d'interface mer/couloir rhodanien, Sud/Nord.
- l'identification à un monde géographiquement clos, un système borné, physiquement et politiquement, comme ce fut le cas dans la constellation des cités grecques antiques. Il faut préciser l'importance relative du territoire historique qui occupe le bassin de Marseille de la vallée de l'Huveaune et couvre 230000 hectares, soit deux fois la superficie de Paris.
Ce territoire a contenu l'expansion de la ville au cours de l'histoire y compris celle de la banlieue industrielle le long des axes est et nord.
Ainsi, ce phénomène de la banlieue contenue dans les limites communales permet d'expliquer la relative autonomie d'autres communes voisines, telle Aubagne, à 15 kilomètres du Vieux-Port, relevant d'une logique "provençale".
Le corollaire en a donc été une très forte concentration économique et démographique dans les limites communales, liée à la fonction portuaire de la ville mais aussi à son "indépendance" par rapport au monde continental et à son homogénéité territoriale pratiquement invariante depuis l'antiquité.
C'est ainsi qu'en 1979 plus de 86 % des établissements économiques de l'agglomération marseillaise étaient rassemblés dans la ville même, contre environ 52% dans les agglomérations de Lyon, Lille, Bordeaux, Nantes et Nancy.

Les prémisses d'une région urbaine

La constitution d'une "région marseillaise" n'est cependant pas un phénomène vraiment nouveau. Son émergence a pu être constatée au XIXème siècle à partir d'un certain nombre d'effets induits de l'essor économique tels que les complexes industriels charbonniers de Gardanne et de Fuveau, le complexe intégré des étangs.
Un obstacle important au développement économique centré sur Marseille était représenté par le relief. Celui-ci a imposé de gros travaux d'infrastucture dès la première moitié du XIXème siècle.
En ce qui concerne le réseau ferroviaire on peut mentionner le tunnel de la Nerthe à travers le massif de l'Estaque, le plus long de France à cette époque (4,638 km), achevé en 1849; la voie de montagne Marseille-Aix avec des rampes de 20% et des courbes à rayon de 250 mètres en 1877; une voie souterraine de 14,5 km sous le massif de l'Etoile pour l'exploitation du charbon de Gardanne mise en service en 1905 et, en 1915, le contournement du massif de l'Estaque avec une multitude d'ouvrages d'art. Citons d'autre part le canal de la Durance achevé en 1849 et comportant 17 km de souterrains et le canal du Rove, ouvrage navigable souterrain de 7,120 km, reliant Marseille à l'étang de Berre.
En 1928 le plan d'extension et d'aménagement de la région de Marseille englobait une zone ouest-est allant de Fos à Cassis sans inclure Aix-en-Provence. Cela signifiait la volonté de mise en cohérence de cet espace tant au point de vue des activités industrielles que des services liés aux loisirs.
L'infrastructure autoroutière, vecteur contemporain de la diffusion urbaine, a pris un certain retard et c'est seulement en 1950 que la sortie nord de Marseille a été dotée d'une voie digne de ce nom. D'autre part, le tronçon de l'autoroute est jusqu'à Aubagne a été terminé en 1962, celui d' Aubagne à l'autoroute Aix-Nice en 1974, celui d'Aubagne à Toulon en 1976.

La redistribution des fonctions métropolitaines

La création du complexe de Fos dans les années 60, consécutive à la volonté du pouvoir gaullien de créer dans la zone méditerranéenne française un pôle économiquement fort a généré l'extension du marché de consommation et favorisé le commerce et les entreprises locales tout en attirant des concurrents extra-régionaux. Le réseau autoroutier très dense a facilité la décentralisation des activités en même temps que leur réinstallation en certains points privilégiés.
Une conséquence de cette dynamique a été une épuration des activités économiques de la métropole et les nouveaux pôles ont assuré à l'extérieur des fonctions auparavant marseillaises.
L'hyperconcentration économique observée précédemment a donc été suivie par une diffusion centrifuge des activités ainsi que de la population vers les communes périphériques et l'opération de Fos a accéléré ce processus. La perte entre 1975 et 1990 par la ville de Marseille de 100 000 habitants, souvent brandie comme le signe d'un affaiblissement de la ville serait donc plutôt la marque d'un redéploiement de la ville à une autre échelle.
L'intégration de plus en plus poussée des centres de l'aire marseillaise génère donc une mutation et une densification des activités dans les espaces situés entre ces centres, à leur proximité immédiate ou dans les zones carrefours.
Les points privilégiés évoqués ci-dessus ont capté la délocalisation des activités marseillaises et l'arrivée de nouvelles entreprises. La réalisation d'un certain nombre de zones d'activités a permis ou renforcé la relocalisation des activités sur une couronne Marignane-Vitrolles, Aix-en-Provence et Aubagne.
D'autre part, de nouveaux pôles apparaissent, liés à la centralité du complexe marseillais et distincts formellement des villes-centres. Ce sont les grands espaces à vocation commerciale et de loisirs, comme à Plan-de-Campagne entre Marseille et Aix, aux Milles dans la périphérie d'Aix-en-Provence, à la Valentine dans l'est-marseillais ou bien dans l'aire de l'aéroport de Marignane.
D'autre part, il est beaucoup question d'investir le plateau du Grand Arbois situé entre la zone industrielle d'Aix-les-Milles et Vitrolles et d'en faire un pôle d'activités majeur.
Ces phénomènes ont donc constitué une nouvelle donne à partir de laquelle se règle désormais la répartition des activités dans la région marseillaise ainsi que celle de la population.

L'aire marseillaise, une entité territoriale en voie d'émergence.

L'aire marseillaise, carte 3

L'aire marseillaise, carte 3

Ni conurbation comme Lille ou Nice, ni agglomération comme Paris, Lyon ou Toulouse, la forme de l'aire marseillaise est également atypique. Le réseau des villes "satellites", bien hiérarchisé, est englobé dans la logique marseillaise, dans la diffusion des fonctions de la métropole, mais chaque centre conserve et même renforce sa spécificité, y compris aux portes de la ville.
Cette réalité prend sa source dans les caractères "méditerranéens" qui prévalent telles les limites physiques nettes délimitant les territoires avec pour corollaire la force symbolique des sites et la puissante identité politique des villes. Ce dernier facteur rend difficile les coopérations mais valorise l'initiative locale et l'identification des citoyens à leur cité.
En conclusion, on peut dire que l'image d'un centre potentiellement fort, en pleine mutation qualitative et donc en crise, entouré d'un réseau urbain qui renforce son propre rôle, dans le cadre d'une faible coopération interurbaine organisée est bien caractéristique de cette aire marseillaise en voie d'émergence "objective".

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Bibliographie

  • Amiral Lepotier, Marseille-Fos et le Grand Delta, Editions France-Empire, Paris 1976
  • Borruey René, Réinventer le ville-port ? in Métropoles portuaires, Les cahiers de la recherche architecturale, Editions Parenthèses, 1992
  • Morel Bernard, Fellmann Thierry,EHESS, Marseille, 1990
  • Perloff Michel, Centralité et identité en banlieue est-marseillaise: Saint-Marcel et la Penne-sur-Huveaune, In Mélanges Paul Gonnet, Nice, 1989
  • Rambert Gaston, Marseille la formation d'une grande cité moderne, Maupetit, Marseille, 1934
  • Roncayolo Marcel, Evolution de la banlieue marseillaise dans la basse vallée de l'Huveaune, in Annales de Géographie, septembre-octobre 1952

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