Centralité et identité en banlieue Est-marseillaise : Saint Marcel et La Penne-sur-Huveaune

In Mélanges Paul Gonnet, Laboratoire d'analyse spatiale Raoul Blanchard, Université de Nice, 1989.


d

ans une revue récente1 consacrée à la ville, à l'éloge de l'urbanité, le texte de présentation contenait le passage suivant : "Le centre des villes, ce n'est pas qu'un témoignage du passé, un espace restreint où se jouent des phénomènes économiques particuliers, une mode pour intellectuels branchés. C'est aussi un besoin social, celui d'une demande de rencontres, un lieu d'innovations, de modernité...".
Ceci met bien en évidence l'attention que l'on porte actuellement à la question de la centralité. Dans la même revue, un auteur2 mentionnait que la nouvelle identité urbaine n'était " plus fondée sur l'appartenance à un lieu unique, à un village dans la ville, mais sur l'interaccessibilité de tous les lieux de la ville... La production de nouveaux "lieux centraux", l'offre accrue de centralité devenant dans ces conditions immédiatement consommable.". Nous avons là un appel à plus de centralité, à différentes échelles de la ville.
Le rapport centralité/identité, qui va être développé ci-dessous demande que soit précisé le sens dans lequel nous utilisons ces deux termes. La centralité sera entendue comme la concentration maximale de phénomènes de différente nature en un espace central et la représentation que les gens en ont, ce qui confère à ce lieu une autre dimension, celle d'image caractéristique d'un ensemble spatial plus vaste. Ceci nous conduit tout naturellement à la notion d'identité d'un espace comprise comme différence avec d'autres espaces, connotant l'identification des gens avec lui, identification qui implique aussi la maîtrise de cet espace.
Dans ce cadre, une intervention provilégiée pour développer la personnalité d'un espace urbain est l'intervention architecturale. En effet, un des objectifs de l'architecture urbaine est d'enrichir par les signes la lecture du paysage urbain et l'identification à ce paysage. Mais cette question prend une ampleur particulière lorsque l'intervention architecturale touche à un lieu central et contribue à un renforcement de la centralité.
Nous insisterons donc particulièrement sur la relation nécessaire entre centralité et architecture, sur le rôle irremplaçable de l'architecture dans l'affirmation d'un lieu central, le terme d'architecture couvrant aussi bien le fond aménagé et construit ancien que le projet en cours ou à venir, aussi bien le domaine bâti que le non-bâti.
Ces préliminaires un peu longs nous ont paru nécessaires pour une meilleure compréhension de notre propos.
On se préoccupe beaucoup à l'heure actuelle de l'identité des banlieues, ces espaces plus ou moins hétérogènes, lieux du possible en matière d'urbanisme. La banlieue marseillaise, le long de la vallée de l'Huveaune, peut être considérée comme l'un de ces espaces cumulant le passé villageois, le passé et le présent industriels, la diversité résidentielle (du pavillonnaire aux collectifs les plus massifs), les équipements récents, dans une impression de chaos linéaire strié de routes, autoroute, chemins de fer suivant le cours du fleuve, autant de lignes de flux, de vie, de croissance, mais aussi de barrières.
Comme toujours, un examen plus approfondi révèle que le chaos n'est qu'apparent, que tout cet espace est structuré administrativement mais aussi morphologiquement et dans la perception des habitants. Des noyaux villageois ont servi de point d'ancrage pour la structuration des extensions. Les usines ont le plus souvent utilisé les terrains les moins propices à la construction. D'autres usines, mais surtout les collectifs et les équipements publics ont pris la place de grandes propriétés dont la structure d'origine se traduit souvent dans l'organisation présente. Tout cela est lisible pour un spécialiste. L'image n'en reste pas moins réellement chaotique.
Si l'image relativement harmonieuse de la ville du XIXème siècle réside dans son évolution régulière faite de lignes structurées et de types bâtis conférant une morphologie d'unité ou de diversité plus ou moins équilibrée, si cette ville a pu fondre et souder les diversités, la ville contemporaine, telle que nous la connaissons dans notre pays, ne peut prétendre à ce même type d'harmonie dans sa totalité. Si l'on recherche toujours une structure optimale de la globalité de la ville dans les grandes lignes, au sens propre et figuré, une attitude cohérente est celle d'une meilleure prise en comptre des sous-ensembles présentant des caractères d'homogénéité, issus de l'histoire, tendant à un renforcement des centralités locales, facteurs de cohésion dans tous les sens du terme.
La grande question est de saisir la réalité des espaces, dans leur complexité, afin d'en tirer parti pour un mieux être de la population. Cette réalité ramène à l'histoire, jusqu'où ? Le rôle et la signification du bâti et du non-bâti, l'économie, la population, les pratiques sociales, la vie politique, tout cela est le présent et l'histoire intégrés dans un fabuleux rapport dialectique.
D'autre part, chaque entité spatiale a des caractéristique spropres, et, par conséquent, la réponse aux problèmes diffère. Il s'agit donc de mieux prendre en compte la qualité de l'espace et mieux comprendre les processus de raffermissement de la centralité, condition d'un raffermissement de la centralité, condition d'un raffermissement de l'identité. Il est évident que les choix dans ce domaine doivent refléter au mieux les intérêtes de la collectivité concernée et que, dans ces conditions, la structure politique et administrative la plus adaptée pour prendre le mieux en considération la complexité des problèmes ne peut être qu'un pouvoir proche de ses administrés et de l'échelle de leurs préoccupations.
Les exemples qui suivent veulent, d'une part, exprimer la profondeur des différences entre des espaces se trouvant dans un contexte très proche, dans la vallée de l'Huveaune et, d'autre part, mettre en évidence des dynamiquesdifférentes. Les références à l'histoire seront très importantes, le poids des explications issues des données historiques pouvant naturellement être discuté.
Cet article aurait d'ailleurs pu s'intituler "Déclin ou affermissement des entités spatiales", son objet étant de montrer, d'une part, la persistance des contraintes et des atouts issus de l'histoire et, d'autre part, l'aptitude ou non à utiliser ces données pour conforter l'identité d'un territoire.
Ne pouvant appréhender l'ensemble des quartiers et communes de la banlieue Est-marseillaise, nous avons porté notre attention sur deux entités de nature différente, à savoir un quartier administratif de la ville de Marseille, Saint-Marcel et une commune périphérique autonome, La Penne-sur-Huveaune (voir carte ci-dessous). Cette différence de nature du pouvoir de gestion est naturellement promordiale dans l'appréhension de la question de l'identité de ces deux groupements humains.

Carte banlieue Est-marseillaise.

Carte banlieue Est-marseillaise.

Les deux entités présentent des éléments communs liés à leur localisation proche. Elles se situent à un rétrécissement de la vallée de l'Huveaune, entre deux hauteurs encadrant le fleuve. Leur noyau d'origine s'est développé sur la hauteur située sur la rive gauche. Dans les deux cas, celui-ci a "glissé" vers le fleuve, vers la route principale en direction de l'Est, le long de laquelle s'est développé le noyau villageois actuel, prenant la forme d'un village-rue. Toutes deux ont vu germer symétriquement un bourg, ou plutôt un "bourgeon" (le Petit Saint-Marcel et la Bastidonne, toponymes de filiation) sur la rive opposée de l'Huveaune, sur le deuxième axe Ouest-Est (voir la carte ci-dessous). Les deux "bourgeons" sont reliés à leur noyau d'origine par un pont.

Carte Saint-Marcel et La Penne-sur-Huveaune et leur "bourgeons".

Carte Saint-Marcel et La Penne-sur-Huveaune et leur "bourgeons".

Saint-Marcel et La Penne-sur-Huveaune ont vu leur développement s'articuler sur leur noyau villageois et s'orienter vers le Sud, à l'assaut du massif de Carpiagne. Les espaces hostiles, inondables ont été occupés par l'industrie et les propriétés bastidaires si caractéristiques du pays marseillais par les lotissements. Une gare est présente à Saint-Marcel et La Penne-sur-Huveaune. Tous deux sont marqués par des grandes demeures encore existantes, liées à de grandes familles qui ont joué un rôle majeur dans l'histoire locale, le Château Forbin pour Saint-Marcel et le Château de la Candolle pour La Penne-sur-Huveaune.
Là s'arrêtent les points communs. Il n'y a pas lieu d'insister sur les différences de population (environ 10 000 habitants pour Saint-Marcel et 6000 pour La Penne-sur-Huveaune), la proximité de Marseille expliquant naturellement une plus grande pression sur Saint-Marcel. D'autre part, une grande partie de la population de Saint-Marcel réside dans des espaces non articulés sur le noyau du quartier (grands ensembles essentiellement). L'intérêt est ailleurs, dans les différences et, surtout, dans la dynamique de différenciation.
Saint-Marcel appartient historiquement au territoire marseillais, ce qui n'est pas le cas pour La Penne-sur-Huveaune, ou tout au moins son appartenance n'a été que sporadique3. Il semble que déjà au premier siècle de notre ère, la frontière entre Marseille et Arles passait par la Penne-sur-Huveaune4.
La grande industrie de la vallée de l'Huveaune s'est arrêtée aux portes de la Penne, ce qui est lisible dans le paysage tant au niveau des usines elles-mêmes qu'à celui du type des immeubles résidentiels. L'appartenance de Saint-Marcel à Marseille l'intègre dans un processus de décentralisation au niveau de l'ensemble urbain marseillais. Un pôle important d'activités et de services s'est développé à la Valentine, un quartier mitoyen. Cette opération utile pour développer un pôle secondaire de desserte des quartiers Est de Marseille, assez défavorisés, a naturellement des conséquences sur Saint-Marcel et le niveau de sa centralité. Des équipements de niveau urbain (annexes d'université, services sociaux...) s'installent dans le quartier. La tendance est donc à une intégration du quartier à un niveau supérieur qui tend à affaiblir considérablement son identité, ce qui est perçu par les habitants. Le noyau villageois était très important, ce qui a retardé l'échéance, mais aujourd'hui, les vieux habitants ressentent douloureusement le déclin de l'identité et les nouveaux habitants ne s'intègrent pas réellement. Ceci est d'ailleurs particulièrement sensible au niveau des activités culturelles. Les manifestations festives disparaissent. Un aspect particulier entrant dans le cadre de cet article est à souligner, c'est celui de l'aménagement des espaces. Aucune volonté ne se manifeste de restructuration des espaces pour renforcer l'image du quartier, notamment en relation avec sa centralité. La logique du village-rue s'amplifie, le centre ancien est abandonné (cf ci-dessous). Seule la mutation des commerces, de leurs vitrines est le signe d'une centralité commerciale active.
L'aménagement du quartier résulte donc, d'une part, d'un urbanisme issu d'une vision globale de la ville et, d'autre part, du libéralisme économique. Les habitants n'ont aucune prise sur leur environnement. Un espace fort à l'origine est en train de dépérir sur un fond de déclin de l'industrie qui a valu une crise importante du quartier (fermeture des usines CODER).
L'évolution récente montre une tendance à l'investissement du quartier par des catégories sociales plus favorisées attirées par le calme, la bonne desserte en axes de communications, la présence du pôle fonctionnel de la Valentine. Ceci est manifeste par la quantité des constructions individuelles récentes.
L'image actuelle de ce quartier peut se résumer à un envahissement publicitaire à ses accès, à une rue commerçante, à des caractéristiques industrielles encore fortes. L'intervention architecturale la plus marquante a porté sur la réhabilitation de locaux industriels, dont la fonction a été modifiée. On peut dire qu'il y a là un souci de garder une certaine mémoire du passé. Cependant, le fait que la destinée du quartier se joue à un niveau trop éloigné de la réalité locale, se traduit par une absence de prise en compte de la centralité du quartier, ce qui tend à distendre de plus en plus les liens des habitants avec cette échelle territoriale.
Rien n'étant entrepris pour renforcer la centralité du quartier, celle-ci régresse puisque d'autres pôles se renforcent dans le même temps, que ce soit celui de l'hypercentre marseillais ou les autres pôles secondaires.
Nous avons ici beaucoup insisté sur la dynamique récente, mais il y a lieu de mentionner un autre aspect, lié aux vestiges du passé. Sur le site du village du Moyen Age demeure une chapelle, ancienne église du village, maintenant aux confins de Saint-Marcel, sur les pentes du massif de Carpiagne. D'autre part, la "nouvelle" église, au centre du village du XVIIIème siècle, s'est trouvée isolée lorsque la route royale construite en 1777 a évité le centre du village, générant un nouveau village-rue, parallèle au premier(voir carte ci-dessous).

Carte Saint-Marcel en 1890.

Carte Saint-Marcel en 1890.

Ainsi, les monuments les plus significatifs du passé se sont-ils trouvés séparés de la nouvelle centralité, rendant difficile leur intégration dans une image forte du quartier.

La Penne-sur-Huveaune présente une logique très différente. Sa séparation d'avec Marseille, son rapport privilégié avec Aubagne, lui ont valu une certaine autonomie traduite par l'autonomie communale actuelle qui lui permet, malgré des moyens modestes, d'oeuvrer dans le sens de ses intérêts collectifs et donc d'une organisation de l'espace plus adéquate. Nous reviendrons sur la politique d'équipements menée par la municipalité.
Un point particulier sur lequel il semble important de s'arrêter est celui d'une opération récente tendant à renforcer la centralité de la commune et, partant, son identité, par le renforcement et l'enrichissement de ses caractéristiques.
Notons tout d'abord la présence à la Penne d'un monument antique, dont l'origine n'a encore pas été définie avec certitude, qui se nomme LA Pennelle. Tour de défense inscrite dans un rempart ? Mausolée ? limites de territoire ? Poste de vigie ? Tout cela, à des époques différentes ou simultanément ? Toujours est*il que ce monument lié au nom de la commune (Pen = rocher en langue celtique) en est aujourd'hui le symbole. Mais l'intérêt ne réside pas tant dans la qualité du monument lui-même que dans son existence et sa localisation. Il semble fondamentalement lié à l'origine de la Penne, dominant directement l'Huveaune, dominant le carrefour des voies massaliotes Nord-Est et Ouest-Est5, ainsi que celui de la route Marseille-Aubagne et La Penne-Cassis, probablement borne du territoire de Marseille au premier siècle de notre ère, un lieu donc très fort. Or, il s'avère que ce lieu a perduré dans l'histoire. Le carrefour a été commandé par un château-fort au Moyen-Age, dont le site est aujourd'hui celui du Château de la Candolle, dont la propriété est toujours balisée par la Pennelle. Un noyau villageois s'est développé à proximité immédiate du monument, glissant ensuite de quelques dizaines de mètres vers le carrefour de la route de Cassis où une nouvelle église est venue matérialiser au XVIIIème siècle le nouveau entre villageois, dans un ensemble de hameaux parfois plus peuplés que lui.
A ce carrefour donc, la municipalité a programmé une opération de renforcement de la centralité par la réalisation d'un complexe de logements, de locaux commerciaux, de services publics dont l'architecture a été " soignée " et d'une place générant la venue d'un marché.

Carte du centre de La Penne-sur-Huveaune.

Carte du centre de La Penne-sur-Huveaune.

La conjonction d'un ensemble de caractères, escalier menant au centre ancien et au monument symbolique (mystérieux pourrait-on dire), église, ancien cimetière, monument aux morts, place marché, commerces, services, opération modeste en soi, mais pertinente, a donné réellement à la commune à la fois une image tendant à conforter sa personnalité et une nouvelle vitalité économique. Cette expérience a été reconnue comme exemplaire par les services du Ministère de l'Equipement, qui y a vu l'émergence d'un " lieu collectif fort "6.
A cela, il faut ajouter l'aptitude offerte à mieux exprime les mémoires du lieu qui peuvent, à la faveur de cette opération, être plus facilement transmises à la population, afin de lui permettre une meilleure identification à son espace, une meilleure inscription dans notre société, une plus grande motivation à participer à la vie publique. Cette opération, accompagnée de réalisations propres à satisfaire d'autres besoins à l'échelle de la commune (cinéma, salles polyvalentes, centre aéré, nouvelle zone économique...) présente donc un intérêt notable en comparaison avec l'exemple précédent : intérêt d'une dynamique de renforcement d'une entité, par la multiplication des signes et des fonctions, mais des signes ancrés dans l'histoire, des signes rassemblés, ce qui leur donne un impact plus important.
Les signes, naturellement, ne suffisent pas, il faut les révéler par la transmission d'une culture urbaine, historique et spatiale ne pouvant passer que par une voie locale t ayant une grande autonomie.

Reconnaître les signes du passé, les mettre en valeur, en créer d'autres qui se combinent aux premiers, nous sommes ici à la limité entre la recherche, la création, l'action pour améliorer le cadre de vie des hommes.

Notes

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Bibliographie

  • Constans Léopold Albert, Arles Antique, Paris, 1921.
  • Gilles Isidore, Les voies romaines et marseillaises du département des Bouches-du-Rhône, 1984.
  • Lefebvre Henri, La révolution urbaine,Gallimard, Paris, 1971.
  • Levy Jacques, Centre-ville : toutes directions In Espaces Temps, n°33, pp. 50 à 58, 1986.
  • Lynch Kevin, Site planning, Mit Press, 1971 .
  • Masson Paul, Encyclopédie des Bouches-d-Rhône, pp. 28 à 33.
  • Peraldi Michel, Paysage, ville et mémoire : Marseille, C.E.R.F.I.S.E., 1988.
  • Perloff Michel, Une ville moyenne face à une métropole voisine, le cas d'Aubagne, doctorat de 3ème cycle, Aix-en-Provence, 1982.
  • Rambert Gaston, Marseille, la formation d'une grande cité moderne, Maupetit, Marseille, 1934.
  • Roncayolo Marcel, Evolution de la banlieue marseillaise dans la basse vallée de l'Huveaune, In Annales de Géographie, n° de septembre-octobre 1952, pp. 342 à 353.
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