SIG graphique et projet urbain


Jacques Autran, Marius Frégier, Michel Perloff
In Mappemonde 49, 1998.



Cartographie, projet urbain et espace public : la question des SIG

a recherche d'une alternative à l'urbanisme du Zoning a conduit à rechercher les règles génératrices de la structure du tissu urbain. La rencontre de la géographie et de l'architecture y contribue : la géographie comme science des interrelations spatiales a élaboré des concepts et des méthodes et produit un immense corpus de connaissances sur les tissus d'habitat ; la recherche architecturale a ouvert des horizons dans les domaines de l'approche historique, morphologique et esthétique du tissu urbain. Ces moyens ont été mis au service du "projet urbain", qui accorde une attention prioritaire à la qualité des espaces urbain, entendus ici comme espaces publics, porteurs de l'image et de l'identité de la ville.

Cette démarche qualitative exige un affinement des outils mobilisés pour l'analyse et le projet. Il en est ainsi de la carte, dont les atouts bien connus sont renforcés par le développement des SIG : par leurs performances de stockage et de représentation des données littérales et graphiques, les SIG multiplient les possibilités de traitement de l'information ; par la discipline propre à l'emploi d'outils informatiques, les SIG imposent la rigueur, appelant à une approche plus scientifique du traitement des problèmes posés par l'aménagement de l'espace ; enfin, les tâches d'analyse et de réalisation de carte publiables, autrefois séparées, tendent à se confondre, facilitant la production de cartes riches d'informations et de bonne qualité plastique.

Il faut cependant s'interroger sur ce foisonnement, car la production de cartes surchargées, dénuées de sens ou porteuses d'un message erroné tend à s'amplifier. Le doute subsiste quant à la capacité de l'outil cartographique informatisé à répondre aux enjeux de l'"écriture" du projet urbain, dans la mesure même où, devenus plus accessibles, les logiciels de cartographie sont maniés par des usagers peu ou pas formés à la sémiologie de la représentation graphique.

Langage graphique et SIG : une pédagogie du projet urbain

La cartographie est plus que l'expression de signes tirés d'une nomenclature. Elle met en oeuvre un véritable langage., désormais bien codifié, que son inventeur Jacques Bertin a appelé "la graphique", et dont les lois empruntent largement aux théories de Ferdinand de Saussure. Ce prolongement de la linguistique s'avère fécond dans l'enseignement de la représentation graphique en introduction au projet urbain (deuxième année du premier cycle de l'école d'architecture). L'adéquation recherchée entre compréhension de l'espace et représentation graphique implique une démarche rigoureuse,associant étroitement l'intelligence de l'espace et la pertinence du langage utilisé pour les signes élémentaires et leur interrelation. L'expérience montre notamment que l'"erreur" peut se voir et s'expliquer : une mauvaise image d'un questionnement pertinent appelle une clarification des composantes de l'idée et la recherche des signes graphiques adéquats : une belle image issue d'un questionnement non pertinent est dépourvue d'intérêt.

L'introduction d'un logiciel de cartographie (Mapinfo) dans cette pédagogie a apporté un certain nombre d'enseignements dont la portée est amplifiée par le contexte même de l'expérience. Les étudiants bénéficient d'un environnement très favorable pour une formation à l'écriture graphique du projet urbain : un enseignement alimenté par des équipes de recherche, l'acquisition préalable d'une formation de base à la géographie urbaine, au dessin d'architecture et à la sémiologie graphique, la richesse du terrain d'expérimentation que représente l'agglomération marseillaise, la richesse de l'information numérique mise à la disposition de l'enseignement par le service informatique de la ville de Marseille (ICOREM), une forte imprégnation par l'environnement professionnel du milieu des architectes. L'ensemble de ces conditions explique que les étudiants soient très tôt en mesure d'avoir une production ouvrant des perspectives directes sur le domaine professionnel.

Les cartes ci-jointes sont extraites d'un exercice effectué par des étudiants en architecture portant sur l'amélioration du confort des piétons dans un espace public de Marseille. Cet espace devait obligatoirement être en rapport avec les sept places de la figure 1, situées sur deux axes, le centre-ville se trouvant au sud-est, les ports à l'ouest et la gare ferroviaire à l'est. La figure 1 matérialise une phase initiale de l'analyse, la figure 2 une phase initiale de la proposition : la relation analyse-projet est ainsi sous-jacente.

Analyse comparée

Figure 1 : typologie de places

Figure 1 : typologie de places

Les cartons de la figure 1 servent de support à l'analyse comparée des sept places ; les données retenues sont susceptibles de les situer dans la perspective du projet. La mise en page permet de comparer à la même échelle des places bornant un fragment de ville dont la structure est homogène. Les deux places méridionales, véritables portes de la ville, sont des pôles de centralité fixant des pratiques sociales riches. La place située à l'ouest, carrefour de deux voies primaires, a une articulation avec le port. La plus orientale est un carrefour en étoile s'ouvrant vers la gare. La relation entre les deux places est difficile en raison du relief.

Les autres places s'égrènent le long des deux axes primaires. Sur l'axe ouest, trois places, situées le long de la zone portuaire, relèvent d'un même type de forme régulière créée par la rencontre d'une voie diagonale avec un maillage viaire orthogonal ordonnant un lotissement ; la limite étant hermétique et la diagonale connaissant un intense trafic automobile, les piétons fréquentent peu ces intersections. Les deux places de l'axe oriental correspondent à des fourches ; elles servent d'articulation entre le lotissement et le tissu urbain voisin. Elles devraient tirer parti de cette rencontre et servir de pôle de quartier. Ces hypothèses trouvent des réponses sur le terrain, ce qu'expriment les cartons à plus grande échelle.

Le traitement présenté ici n'est pas sans défaut. L'importance accordée au sens de circulation des automobiles n'est pas conforme à l'objectif de l'exercice. La place prise par les flèches dans l'image perturbe toute autre interrelation visuelle. L'attention prêtée aux trottoirs est insuffisante. Il aurait fallu mettre en valeur les espaces dont disposent les piétons pour circuler ou se reposer, et la relier aux activités mentionnées. Cela aurait permis une première mesure du degré d'attractivité des placeset, par voie de conséquence, une première identification de la place choisie. L'absence de rigueur de l'argumentation est donc manifeste ; la clarté du document facilite la critique, donc l'action pédagogique.

Le parti d'un projet

Figure 2 : le parti d'un projet

Figure 2 : le parti d'un projet

La figure 2 exprime un projet d'aménagement du carrefour sud-est. Le parti adopté est de couvrir une portion de voie afin d'attribuer davantage d'espace à l'usage des piétons. La critique en est tout aussi facilitée : d'une part, la carte n'exprime qu'une relation entre des espaces urbains disparates, église, pont, bâti, espace récupéré pour les piétons, terre-plein pour le stationnement, terre-plein de la place, murets, tandis que les pratiques piétonnes ont été oubliées ; d'autre part, la combinaison des variables rétiniennes n'est pas maîtrisée : valeur, forme et couleur appliquée à l'implantation zonale témoignent d'une utilisation non réflêchie du menu graphique mis à disposition dans le logiciel. De ce fait, on ne peut percevoir aucune interrelation entre les éléments de l'information retenue, ce qui nous prive d'un questionnement possible sur la pertinence du parti et rend impossible toute discussiob sur le choix fait par les étidiants à partir de la carte produite. On peut seulement imaginer la suite : aménagement de l'aire récupérée accompagné d'une magnifique perspective représentant des escaliers, des lampadaires, des jets d'eau, de sbancs, un traiotement du sol...

L'outil des règles de la sémiologie graphique paralyse le développement de l'argumentation, ne serait-ce que pour une seule raison : une représentation cartographique ne visant aucune signification au niveau d'ensemble ne peut être pertinente. Cette seule remarque impliquerait déjà une véritable redéfinition des objectifs à atteiendre. Que faut-il donc exprimer au niveu général ? Dans l'hypothèse de la récupération de l'espace par les piétons, aux obstacles qu'ils y trouvent, aux points forts tels que l'église, le terre-plein du carrefour. La confrontation visuelle, rendue plus efficace par l'usage pertinenent de l'implantation et des variables rétiniennes, faciliterait une réorientation de la démarche.

Ecriture graphique, SIG et pédagogie du projet urbain : quelques perspectives

Nous affirmons ici le principal heuristique de la cartographie. Au-delà, nous considérons comme essentiel de considérer l'"écriture graphique" comme procédant de la conception, à la fois dans le sens de l'élaboration d'une connaissance de l'espace et dans celui de la production, du "projet". Conception de la carte et conception par la carte sont intégrées dans le processus de conception de l'espace. La maîtrise des règles de la graphique est fondamentale pour la réalisation de cartes pertinenetes, tant pour l'analyse que pour le projet. Ce constat nous conduit à souhaiter l'extension de l'apprentissage de ce langage, qui pourrait être facilitée par l'outil informatique. L'expérience pédagogique a montré que l'usage d'un logiciel de cartographie rendait plus accessible l'étude des règles de la graphique, par la recherche de pertinence dans la relation entre les classes d'informations à traduire et les menus graphiques porposés. Les carences étant identifiées simultanément dans la réflexion et dans la représentation graphique, la reprise du travail est facilitée par les performances de l'outil informatique.

Au stade actuel du potentiel des logiciels de cartographie, l'automatisation du traitement des données ne peut être que limités. Les raisons en sont, d'une part la dimension qualitative des projets touchant à l'espace public, et, d'autre part, le passage ,écessaire à des échelles fines impliquant la gestion du détail. Notre orientation pédagogique actuelle est celle d'une micxité de l'usage de l'ordinateur et de la main, ouvrantdes perspectivesd'une grande richesse. Elle opère une réduction de la distance entre la cartographie et le dessin d'architecte. Le projet urbain appelle une meilleure qualité cartographique et des progrès dans la corrélation entre la maîtrise du langage de l'urbain, de la sémiologie graphique et d'outils informatiques adéquats.

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Références bibliographiques

  • . Bertin Jacques, La graphique et le traitement graphique de l'information, Flammarion, Paris, 1977.
  • . Brunet Roger, La carte, mode d'emploi, Fayard-Reclus, Paris-Montpellier, 1987.
  • . Dion Roger, Essai sur la formation du paysage rural français, Guy Durier, Neuilly-sur-Seine, 1981.
  • . Giovannini Paolo, Spazio urbano e città futura, Alinea, Florence, 1993.
  • . Lynch Kevin, L'image de la cité, Dunord, Paris, 1969.
  • . Pinon Pierre, Lire et composer l'espace public, éditions du Service Technique de l'Urbanisme(STU), Paris, 1991.
  • . Rossi Aldo, L'architecture de la ville, L'équerre, Paris, 1981.

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